Le design graphique recherche une réaction du public au message qu’il communique. Il permet de trouver des solutions visuelles à un problème de communication donné. Le NSDAP, « National Socialist Deutsch Arbeitpartei », le parti national-socialiste des travailleurs allemands, plus connu sous le nom de « Parti Nazi », appliqua très rapidement tous les principes du design graphique alors encore balbutiant pour faire adhérer la population allemande à son idéologie.

J’ai toujours été surpris du peu d’études effectuées sur le design graphique nazi. Etant graphiste de formation, cette lacune me gêne, surtout quand on sait l’importance de la communication visuelle dans l’ascension d’Hitler au pouvoir. Je vous propose d’analyser avec moi froidement les raisons de ce succès.

Je prends ici toutes les précautions d’usage habituelles quand on aborde un sujet aussi délicat que celui-ci : je n’ai aucune sympathie pour l’idéologie nazie ni pour l’extrême droite, et condamne fermement toutes les atrocités commises par les régimes totalitaires.

élections de 1932, photo de Hitler

Affiche de 1932. Cette photo d'Hitler renvoie la sensation d'une personne décidée et sûre d'elle. Objectif principal : imprimer ce visage résolu dans le subconscient des allemands.

Le message Nazi

L’Allemagne des années 30 est un pays en crise, encore convalescent de la Première Guerre Mondiale puis du Krach de 1929. L’Allemagne compte 6 millions de chômeurs en 1932, pour 65 millions d’habitants. La République de Weimar, affaiblie, devient de plus en plus autoritaire. Les Allemands sont en quête d’un renouveau, d’un espoir leur permettant de relever la tête et ainsi retrouver leur fierté.

De cette période de désordre et de chaos surgit pourtant une créativité débordante durant les années 1920, connue sous le nom de « République des Arts ». Les grandes théories et expériences de la communication visuelle sont nées à ce moment, pour être réutilisées avec le succès que l’on connaît dans la décade suivante.

Cette Allemagne à genoux, dépendante des capitaux étrangers, mécontentait une grande partie de la population, en difficulté. Les anciens militaires, ayant combattu pour leur patrie lors de la Grande Guerre étaient parmi les plus virulents dans leur critique acerbe de ce qu’était devenue l’Allemagne. Hitler, un de ces anciens soldats et les autres membres du Parti Nazi avaient tous en commun de vouloir recréer une Allemagne forte, un peuple uni et homogène, où l’individualité serait gommée au profit du bien collectif. Pour unir un groupe de personnes hétéroclite, il faut un objectif commun, supérieur aux intérêts personnels. La critique étant plus aisée que l’éloge, la haine étant plus efficace que l’amour, il n’existe rien de mieux pour unifier un peuple que de lui trouver un ennemi commun.

Pas de communication sans message à transmettre.

Hitler avait l’intime conviction que la première Guerre Mondiale fut en grande partie gagnée grâce à la propagande alliée, bien plus efficace que l’allemande. L’importance de la communication est fondamentale dans la stratégie de conquête du pouvoir du Parti Nazi.

Le premier contact du public avec la communication visuelle du NSDAP se fait par ses affiches électorales. Le message est clair : par un graphisme simple et percutant, inciter les Allemands à voter pour les valeurs nazies, à savoir pour la grandeur de l’Allemagne et la restauration de sa dignité, contre le bolchévisme et les Juifs.

Avec le culte de la personnalité grandissant autour d’Adolf Hitler, un autre message est progressivement véhiculé : seul le führer peut sauver le peuple allemand.

affiche d'Hubert Lazinger

Hubert Lazinger, représentant ici Adolf Hitler en porte-étendard, renforçant le culte de la personnalité autour du Fürher.

Affiches électorales : graphisme nazi avant 1933

Au début des années 1920, les affiches du parti fraîchement créé ne sont encore que de simples textes écrits, mais une cohérence graphique existe déjà : le fond est rouge, la police de caractères est « gothique allemande ».

Affiche de 1920 du NSDAP

Affiche de 1920 du NSDAP

Hitler, dont nous connaissons la sensibilité graphique, agissait en véritable directeur artistique de son parti. Il écrit dans Mein Kampf que la couleur rouge avait été choisie, parce qu’il s’agissait d’une couleur vive qui avait le don d’agiter leurs adversaires, les obligeant à les remarquer et à s’en souvenir.

Le succès du parti national-socialiste grandissant au même rythme que la crise et le mécontentement allemand, les nazis eurent de plus en plus les moyens d’avoir des graphistes professionnels pour leurs affiches électorales.

Affiche de 1924

Affiche de 1924

Avec l’arrivée en 1926 au NSDAP de Hans Schweitzer, connu sous son nom d’artiste « Mjölnir », l’évolution graphique est notable. Mjölnir, qui avait étudié à l’Université des Arts de Berlin, mit tout son savoir-faire au service de l’idéologie nazie. Les affiches sont alors plus parlantes, plus efficaces, avec des dessins nerveux et simples, faciles à retenir et mémoriser, adaptés à différents groupes sociaux.

Affiche de Mjolnir en 1928

Une des toutes premières affiches de Mjölnir en 1928 : « Berlin! Malgré le bannissement, nous ne sommes pas morts! », en référence au bannissement des activités du NSDAP à Berlin.

Affiche de Mjolnir. Volonté organisée de la Nation

« National-socialisme, la volonté organisée de la Nation »

Votez Hitler

« ça suffit maintenant! Votez Hitler »

Homme de confiance de Goebbels, il deviendra à partir de 1935 le commissaire du Reich pour le « design artistique », responsable de toutes les activités artistiques du Parti.

Affiches électorales de 1932

Affiches électorales, 1932. Pour se démarquer, il faut un graphisme et un message qui interpelle.

Campagne électorale du NSDAP

Campagne électorale de 1932. Le NSDAP n'hésitait pas à mettre en oeuvre d'importants moyens.

Publication nazie de 1931

Publication de 1931, avec les éléments traditionnels de la communication nazie : fond rouge, police de caractères gothique.

Dans un registre différent, mais tout aussi efficient, les illustrations de Felix Albrecht, arrivé au parti en 1927, ont permis de toucher différents publics. Les affiches sont soignées, le dessin précis, loin de la nervosité de Mjölnir, mais à la thématique tout aussi radicale : il s’agit pour le Parti Nazi de gagner le pouvoir.

Affiche de Felix Albrecht

« Hommes! Femmes! Des millions d'hommes sont au chômage, des millions d'enfants n'ont pas de futur. Sauvez la famille allemande, votez Adolf Hitler »

affiche de 1932

Affiche de 1932. « Les ouvriers se sont réveillés ». On note le Juif, chuchotant à l'oreille du marxiste.

Affiche de 1932, Felix Albrecht

Affiche de 1932. « Ouvriers de l'esprit et ouvriers manuels, votez pour le soldat du front, Hitler! »

Développement du contrôle de l’opinion publique

Les images percutantes utilisées dans des affiches électorales n’étaient pas une spécificité nazie : les autres partis politiques allemands, y compris les modérés, utilisaient souvent les mêmes codes visuels. Schweitzer et Albrecht ont simplement permis à leur parti de se hisser au même niveau que celui de ses concurrents. Ce sont avant tout les thématiques qui ont pu faire la différence au moment de remporter l’adhésion du public.

SPD 1919

Affiche de 1919 du SPD, parti social-démocrate : « Femmes, mêmes droits = mêmes devoirs »

Rot-Front

Affiche de 1928 du Rot-Front, organisation paramilitaire associée aux communistes allemands

Affiche anti-nazi du SPD

Affiche de 1932 du SPD

La manipulation des foules avait déjà été théorisée par Gustave Le Bon dans son livre « psychologie des foules », paru en 1895. Le Bon, mais aussi Sigmund Freud inspirèrent Edward Bernays, qui le premier, utilisa les méthodes de propagande pour influencer l’opinion publique américaine pendant la Première Guerre Mondiale, et contribua fortement à l’entrée des Etats-Unis dans le conflit. Il utilisa également la propagande pour l’industrie du tabac, en incitant les femmes à fumer. Bernays fut très étudié par Joseph Goebbels.

Willi Münzenberg, responsable de la propagande du KPD, parti communiste allemand, développa bon nombre des méthodes qui débouchèrent sur la communication nazie, bien malgré lui :

  • L’émotion gagne toujours sur la raison
  • En communication, le mensonge est l’égal de la vérité
  • Le débat ne sert à rien : il faut éliminer la contestation

KPD 1924

Affiche de 1924 du KPD : « à bas la vermine! Votez communiste! »

affiche du KPD

On aperçoit dans cette affiche du KPD Hitler et les principaux ennemis du communisme, prêts à être écrasés par l'ouvrier allemand.

Sergeï Stepanovich Tchakhotine, un Allemand d’origine russe, fut le conseiller de la propagande du SPD, principal parti modéré de la République de Weimar. C’est lui qui créa le logo du « Front de Fer », une brève alliance paramilitaire des partis modérés contre la montée du nazisme. Ce logo, constitué de trois flèches, devait donner l’illusion qu’il « rayait » le swastika lorsqu’il était apposé à ses côtés. Lorsqu’il est inscrit dans un cercle, on le nomme « cercle antifasciste », et devait ainsi pouvoir facilement couvrir la croix gammée.

Affiche de 1932 du SPD

Affiche de 1932 du SPD

Tchakhotine écrivit un livre, « Trois flèches contre une croix gammée » publié en 1933, où il avertissait le SPD des techniques de propagande nazies et donnait les contre-mesures à adopter. Cependant, le SPD ne les utilisa pratiquement pas. Ce livre, publié en 1939 en France dans une version améliorée sous le titre de « Le Viol des foules par la propagande politique » explique comment on peut contrôler les masses.

La SFIO, ancêtre du Parti Socialiste français, aura recours aux services de Tchakhotine, et reprendra à son compte le logotype de l’ancien Front de Fer.

Logo SFIO

Logo de la SFIO

Affiche électorale du SFIO

Affiche électorale de la SFIO en 1936

Congrès de la SFIO en 1944

Congrès de la SFIO en 1944.

Courants artistiques : de l’Art Abstrait à l’Art Héroïque

La relation entre les artistes et un pouvoir totalitaire visant à contrôler tous les aspects du quotidien de la population est complexe et ambigüe. Tantôt adulé, tantôt banni, un même courant artistique peut avoir plusieurs vies sous un même régime. Il est apprécié lorsqu’il sert les besoins de contrôle de la population, interdit lorsqu’il devient trop transgressif.

Les courants artistiques ne sont pas étanches, et s’influencent mutuellement, toutes disciplines confondues, que ce soit en peinture, en graphisme ou en musique. Les apports de l’Art Abstrait au graphisme sont bien connus et même utilisés par les Nazis dans leur communication, tout en étant pourtant dénoncé dans la célèbre exposition « Entartete Kunst », « Art Dégénéré », qui eut lieu à Berlin en 1937. L’Art Moderne et ses différents courants était « dégénéré » parce que d’origine « judéo-bolchevique », selon l’expression consacrée en Allemagne à l’époque, avec pour mission la corruption de la race aryenne et du peuple allemand.

Entartete Kunst

Affiche pour « Entartete Kunst »

El Lissitzky

« Battez les Blancs avec le triangle rouge », la célèbre affiche de propagande soviétique d'El Lissitzky (juif et communiste) qui inspira, par dérision, l'affiche d'Entartete Kunst.

On préféra donc s’appuyer sur « l’Art Héroïque », où les valeurs traditionnelles comme le travail, la famille ou la patrie étaient exaltées dans un style graphique idéalisé. Nous retrouverons ce style à partir de 1933 dans les affiches de propagande. Ce courant, inspiré par le Néo-classicisme, voulait revenir à une période de l’Histoire, la Rome Antique, où l’Art n’était pas encore « perverti » par les judéos-bolcheviques.

Couverture d'un magazine du parti Nazi

Couverture d'un magazine du parti Nazi, représentant la famille traditionnelle allemande, par Ludwig Hohlwein

Willi Engelhardt

Affiche de Willi Engelhardt, « Enfants, que connaissez vous du Führer? »

Le rejet massif de l’Art Moderne de cette période n’était pourtant pas systématique. Un artiste comme Gustav Klimt fut épargné, sans doute parce qu’il était apprécié d’Hitler lui-même, qui avait été, on ne l’oublie pas, un « moderne » également dans sa jeunesse.

Peinture d'Hitler

Peinture réalisée par Adolf Hitler

La révolution du design graphique

Les sociétés allemande et autrichienne des années 20 étaient en pleine mutation, la « République des Arts » battant son plein. Nous sommes à une période où la radio commence à être diffusée auprès du grand public, au début de la société de consommation. L’avènement de la production industrielle amène de nouveaux produits à promouvoir, engendrant de nouveaux besoins en termes de « réclame », de plus en plus théorisée et scientifique, évoluant vers ce qui va devenir à partir d’Edward Bernays la « publicité ».

L’ouverture de l’école du Bauhaus en 1919 marquera en Allemagne le début du design moderne et de l’architecture contemporaine. On réfléchit alors à la créativité au service de la production industrielle. L’école sera fermée en 1933 par le régime nazi, accusée d’être un centre intellectuel bolchévique. Malgré cela, les acquis que la pensée du Bauhaus ont permis sont restés ancrés : l’union de la technologie et des arts au service du plus grand nombre.

Les travaux d’Otto Neurath et Gerd Arntz sur les pictogrammes et leur création de l’Isotype (système international d'éducation par les images typographiques) ont permis de normaliser un langage visuel compris de tous. Ce sont ces travaux qui ont permis l’essor de la signalétique et la normalisation des panneaux de signalisation routière dès 1931, entre autres.

Signalétique des camps de concentration

Signalétique des camps de concentration. Chaque groupe de prisonniers possédait son élément d'identification : homosexuels, juifs, politiciens...

Le gestaltisme ou « psychologie de la forme », théorisée à Berlin dans les années 1920, développe l’idée que la perception n’est pas une somme de différents éléments, mais un traitement simultané des informations visuelles.

Ces nouvelles connaissances et leur impact sur la psychologie humaine, individuelle et collective, ont contribué décisivement à l’influence des masses par le design graphique.

Hakenkreuz, la croix gammée

Lorsqu’Hitler désigna la croix gammée comme étant l’emblème officiel du NSDAP, Peter Behrens avait déjà réalisé toute l’identité visuelle de l’entreprise AEG en 1907, jetant ainsi pour la première fois les jalons du Design Graphique. Celui qui deviendra le « führer » était parfaitement conscient de l’importance de l’identité visuelle en communication, plus que tout autre au sein du Parti Nazi, et l’exploita à fond.

logo NSDAP

Logo du NSDAP

La pierre angulaire d’une stratégie de communication visuelle repose sur le logotype. Il doit être porteur de signification et immédiatement identifiable. En cela, les responsables nazis furent heureux dans leur choix, la croix gammée répondant à toutes les exigences d’un logo réussi.

Reichsnahrstand

Une variation de la croix gammée nazie, ici le logo du Reichsnährstand, organisation en charge de l'agro-alimentaire. Ce logo est directement issu de l'idéologie Blunt und Boden, « le sang et le sol ».

Nous disons en Français « croix gammée », de par la ressemblance des branches de la croix à la lettre grecque gamma. En Allemand, « hakenkreuz » signifie « croix à crochets ».

Mysticisme et fascination : origines de l’Hakenkreuz

« Hakenkreuz » est le terme allemand utilisé pour le swastika dextrogyre, une croix « gammée » pointant vers la droite. Le swastika est un symbole connu depuis des milliers d’années que l’on retrouve dans de nombreuses cultures des quatre coins du monde, généralement associé à des éléments bénéfiques. À partir du XVIIIème siècle le swastika semble avoir été utilisé par les occultistes.

L’origine de ce symbole dans les milieux nationalistes allemands remonte à Guido von List (1848-1919), issu du Mouvement völkisch. Cet homme fut le principal théoricien du mysticisme aryen, où était établie l’origine supérieure du peuple allemand. Il prônait un retour au paganisme, le Christianisme étant une religion d’origine sémitique. Guido von List publia « le secret des runes », où il y explique le pouvoir ésotérique de cet ancien alphabet germanique.

Runes armanes

Les runes armanes de Guido von List

Parmi ses suiveurs, Jörg Lanz von Liebenfels, le fondateur du magazine « Ostara », une publication néo-païenne occultiste et pangermaniste. Son sous-titre, « le magazine des hommes blonds et virils », ne laissait aucun doute quant à son public. Cette revue, publiée de 1905 à 1913, arborait une croix gammée, que l’on retrouve dans le drapeau de l’Ordre des Nouveaux Templiers, l’association mystique que Liebenfels fonda en 1907.

Ordre des Nouveaux Templiers

Emblème de l'ordre des Nouveaux Templiers

La Société Thulé, un groupuscule secret fondé en 1918 qui développait l’idée de la race aryenne arborait comme emblème la « Croix d’Odin », du nom du dieu germanique suprême. Cette croix n’est autre qu’une hakenkreuz aux branches courbes. On retrouve au sein de cette organisation völkisch de futurs très hauts dignitaires nazis, comme Rudolf Hess ou Hermann Göring.

Graphisme de la Société Thulé

La Société Thulé

Croix d'Odin

Croix d'Odin ou de Wotan

Le DAP, le « Parti Ouvrier Allemand », ancêtre du NSDAP, fut fondé en 1919 par deux membres éminents de la Société Thulé : Karl Harrer et Anton Drexler. C’est Friedich Krohn, un membre de la Société Thulé qui proposa, lors d’un concours d’idées en 1919, l’utilisation du swastika en tant que symbole du parti, ce qui allait permettre d’identifier immédiatement le nouveau parti comme étant nationaliste.

La fascination qu’exerça le graphisme de la croix gammée sur l’extrême-droite allemande était compréhensible, de par sa symbolique forte et ses multiples lectures :

  • Symbole représentant le peuple aryen, la race originelle dont descendraient les Allemands.
  • Superposition en croix de la rune « sowilo ». Cette rune désigne la personnification du soleil.
  • Symbole représentant le « soleil noir », la réunion de trois swastikas comme théorisé par Karl Maria Wiligut, grand ésotériste nazi.

Le mysticisme atteindra son paroxysme avec Alfred Rosenberg, un ancien de la Société Thulé et nazi de la première heure. Ce grand théoricien de l’idéologie nazie développa en 1930 dans son livre « Le Mythe du vingtième siècle » tout un mysticisme autour de la croix gammée.

Travail et pain, 1932

« Travail et pain », affiche de 1932. La croix gammée est inscrite dans la lune, lui donnant une charge mystique.

Hitler et la croix gammée

Adolf Hitler, contrairement à beaucoup de ses camarades, ne semblait pas spécialement mystique. Il était avant tout pragmatique. Il utilisait le mysticisme et toute l’idéologie néo-païenne qui pouvait en découler si cela l’aidait à atteindre son but premier : l’exaltation du peuple allemand.

Ainsi, lorsque pendant le concours d’idées pour trouver un logo au DAP le swastika fut présenté par Friedich Krohn, Hitler retoucha son idée en inversant le sens de rotation du swastika initial : plutôt que lévogyre, le swastika tournerait dans le sens des aiguilles d’une montre, dextrogyre. Il en résulte un symbole plus dynamique aux yeux d’un européen, d’autant plus qu’Hitler l’incline de 45°. Il insiste également sur l’arrangement : le swastika serait sur un disque blanc, lui-même sur fond rouge. Ce logo devient alors une image d’une incomparable force, qui s’imprime sur la rétine de son observateur.

Propagande nazie

« Donnez-moi 4 ans ». Le swastika est ici pratiquement hypnotique.

Les couleurs choisies faisaient consensus : rouge, noir et blanc, les couleurs de l’étendard de l’Empire Allemand. Leur signification s’adapte à l’idéologie du parti. Du noir et blanc de la Prusse et du rouge et blanc de la Ligue Hanséatique qui donnèrent naissance à l’ancien drapeau, nous passons au rouge du socialisme, au blanc du nationalisme et à la croix gammée, symbole de la race aryenne.

Hitler, lorsqu’il étudia encore enfant à l’abbaye de Lambach, pouvait y observer le blason de Theoderich Hagn, abbé de 1859 à 1872 et féru d’ésotérisme : il s’agissait d’une croix gammée. Ce souvenir d’enfance a pu refaire surface au moment de choisir l’emblème de son parti.

Cenotaphe de Lambach

Cénotaphe de Theoderich Hagn, responsable de l'abbaye de Lambach

Communication publicitaire… ou de propagande

A partir de 1933, les besoins de communication du NSDAP changent. Le parti n’est plus à la recherche du pouvoir, il s’assimile désormais au gouvernement allemand. Il s’agit maintenant de façonner le peuple allemand à l’image de ce que désiraient les nazis. Les Allemands doivent être unis, militaristes et obéissants à leur führer, avec en toile de fond un projet d’eugénisme, visant à « purifier » la race aryenne. La haine du juif, du tzigane, du bolchévique mais aussi des invalides ou des malades mentaux de naissance et des homosexuels est ainsi savamment instillée par la propagande nazie des années 30.

affiche anti-sémite

Le serpent, assimilé au juif, est ici tué par l'épée associée à la Société Thulé dans cette affiche électorale.

schutzengel

Dans cette affiche de 1932, on réunit ensemble le Juif et le SPD qu'on assimile aux communistes. On peut y lire : « Le Marxisme est l'ange gardien du Capitalisme »

Wahlplakat NSDAP 1932

En haut de l'affiche électorale en pseudo lettres hébraïques : « Nous choisissons Hindenburg ! ». Au milieu, « Nous choisissons Hitler ! »

Adolf Hitler disait, en mars 1933 : « La propagande de Goebbels est une de nos armes de guerre les plus efficaces ».

Pour ce nouveau programme de propagande, la communication se fait plus institutionnelle, plus mesurée. Les affiches de Ludwig Hohlwein sont dans la mouvance de son temps, s’inscrivant dans le « Plakatstil », ou « style de poster », issu de l’essor des affiches publicitaires des années 20.

Affiche pour le BDM

Affiche pour le BDM, la ligue des jeunes filles allemandes, par Ludwig Hohlwein

Le Plakastil, dont les juifs Julius Klinger et Lucian Bernhard étaient également des figures de proue, se concentre sur une figure centrale au dessin simplifié, accompagnée d’une police de caractères forte. L’idée derrière le Plakastil, avec de grandes affiches bien visibles, était de rendre leur publicité facilement mémorisable et reconnaissable. Klinger est par ailleurs l’inventeur du 4 par 3, le format standard des grandes affiches publicitaires en extérieur, format populaire encore utilisé de nos jours.

Julius Klinger

Affiche de Julius Klinger

Plakat Bernhard

Affiche publicitaire de Lucian Bernhard

Pour les Jeux Olympiques de Berlin de 1936, Hohlwein développa toute l’identité graphique de l’évènement. Les visuels sont clairs : la grandeur de l’Allemagne et de son peuple doit y être exprimée. Il est considéré comme étant le plus grand designer d’affiches allemand du XXème siècle, de par ses affiches qui sonnent toujours justes, allant droit au but et répondant toujours à la première intention, la transmission du message.

affiche des jeux olympiques nazis

Affiche des Jeux Olympiques de Berlin de 1936, par Hohlwein

Avec la guerre en 1939, les besoins de propagande évoluent encore : il s’agit maintenant de convaincre la population du bien-fondé du conflit, de pointer du doigt les ennemis, qu’ils soient extérieurs ou de l’intérieur, puis, avec les difficultés croissantes de l’armée, de persuader les Allemands de l’utilité d’une « guerre totale ».

Juif conspirateur

L'affiche est claire : derrière les puissances alliées, c'est le Juif qui conspire.

Cette propagande ne s’arrêtait pas aux frontières de l’Allemagne : la publication en 25 langues d’un magazine couleur « Signal », objet de grande qualité, vantait les mérites de la Wehrmacht et de la Waffen SS. Le graphisme, très soigné, est étonnement moderne. La couverture fait des appels de lecture, en incitant à feuilleter le magazine, une technique graphique utilisée aujourd’hui systématiquement.

magazine Signal

Couverture de l'édition française de Signal

Des affiches étaient également diffusées, pour rallier les pays occupés à la cause allemande. On se souvient notamment en France d’une affiche de Theo Matejko, « Populations abandonnées faites confiance au soldat allemand ».

Matejko

Charte graphique du IIIème Reich

L’identité graphique du régime nazi fut normée dans une publication de 1937, sous la direction de Robert Ley, le « Organisationsbuch der NSDAP ». Ce politicien national-socialiste avait la charge d’organiser toutes les facettes du parti. Le livre n’était pas encore une charte graphique à proprement parler, mais s’en approchait beaucoup : définition des uniformes par type de fonction, des brassards pouvant être portés, définition des insignes et des logos des différentes sections du NSDAP. Le livre est soigné, avec des planches couleur présentant les uniformes, qui, on se souvient, ont été dessinés par Hugo Boss.

Uniformes nazis

Une des planches couleurs

insignes

Insignes nazies

Pourtant, ce livre précurseur des chartes graphiques modernes pêche par idéalisme nazi : il est écrit en « Fraktur », une police de caractère gothique, difficilement lisible. Les nationalistes allemands considéraient les caractères gothiques comme étant authentiquement germaniques.

Texte de la charte graphique nazie

Extrait de « Organisationsbuch der NSDAP »

En 1934, Hitler, certain de la future hégémonie de l’Allemagne sur l’Europe, préférait pour sa part la police de caractères « Antiqua », dont découle notre écriture latine moderne. Voulant se faire comprendre du reste de l’Europe, le führer estimait que l’Allemagne devait écrire avec des caractères lisibles de tous. En 1941, Martin Bormann, secrétaire d’Adolf Hitler, émet un décret bannissant purement et simplement l’écriture gothique, en prétextant de prétendues origines judaïques.

L’utilisation intensive des méthodes de propagande par le gouvernement national-socialiste contribua de manière décisive à l’essor accéléré de la communication visuelle théorisée et méthodique, les Alliés s’y étant mis aussi. Le terme « propagande » prit dès lors une connotation péjorative qu’il n’avait pas avant la seconde guerre mondiale.

Les Nazis profitèrent des avancées scientifiques et artistiques des années 20, en grande partie issues d’intellectuels juifs, pour dans un premier temps prendre le pouvoir, puis soutenir l’effort de guerre. Ils profitèrent également des idées d’Avant-garde, un courant artistique pourtant très fortement décrié.

KDF-Wagen, affiche de pub

Affiche publicitaire pour KDF-Wagen, devenue Volkswagen aujourd'hui.

L’idéologie totalitaire cédait ainsi bien souvent le pas au pragmatisme typiquement germanique. « Das politische plakate » en est le parfait exemple : cette publication du NSDAP étudie en 1939 les affiches de propagande à travers le monde et les âges, en analysant les raisons de leur succès ou de leur échec.

Une communication efficace n’a pas de critère de vertu, seul l’objectif recherché est pris en compte. Toute l’efficacité du « graphisme nazi », au service d’une idéologie qui a mené l’Allemagne dans le pire conflit de l’Histoire, a été au final contre-productive : au lieu de restaurer la dignité allemande voulue par les Allemands de l’entre-deux guerres, le pays ne fut plus qu’un champ de ruines, les Allemands marqués du sceau de l’infamie.

Aujourd’hui, les mêmes techniques qui ont permis aux nazis d’influencer massivement tout un peuple sont toujours utilisées dans nos contrées, et non seulement pour des raisons commerciales…